Les créatifs doivent-ils avoir peur de l’IA ?

Bien qu’incontestablement considérée comme une avancée technologique fulgurante, l’intelligence artificielle (IA) inquiète aussi quant à l’avenir de certains métiers. C’est une question qui revient régulièrement. Dans cet article, je vais aborder spécifiquement le sujet de la création publicitaire, pas le ciblage des audiences, pas les outils CRM, mais bien la partie créative de notre métier.

Ce débat a été lancé il y a quelques semaines lors de l’Adweek à Londres, qui réunissait 35 000 professionnels de la publicité. A cette occasion, un film Lexus a été diffusé. Sa particularité : un scénario totalement conçu par Watson, l’IA d’IBM. Il est le fruit d’une analyse de 15 ans de publicité automobile et des données d’une étude universitaire pour rendre la communication la plus efficace possible.

Avant de vous faire part de mon analyse, je vous laisse découvrir le film qui a été réalisé par l’écossais Kevin Macdonald. N’hésitez pas à me donner votre avis dans les commentaires :

 

 

En tant que publicitaire, je peux dire que techniquement, ce film fonctionne bien. Il possède en effet tous les ingrédients pour générer de l’impact : l’émotion du personnage principal et une tension, la voiture va-t-elle se “crasher” ou pas ?

Mais peut-on considérer que ce film devienne une référence en terme de création ?

C’est une succession de saynètes mises bout à bout qui répondent, chacune, à des objectifs bien précis : l’implication, le savoir-faire de l’ingénieur pour vanter la qualité du produit, les plans de “roulage” de la voiture dans un décor sublime mais menaçant pour faire rêver la cible, du suspens et de l’émotion ! Il ne manque plus qu’un bébé chat ou chien ou même un enfant pour avoir tous les ingrédients réputés pour toucher le spectateur.

Mais les ingrédients d’une recette ne suffisent pas toujours pour réussir un met délicieux.

Le potentiel créatif des machines

Il est indéniable que la capacité d’analyse de cette IA est bluffante : elle a parfaitement analysé ce qui provoque chez nous des émotions et sa restitution est une performance admirable.

Mais ne s’agit-il pas plutôt d’un assemblage de vignettes que d’une véritable création publicitaire ? Si on reprend l’analogie à la cuisine, ne manque-t-il pas la touche qui fait d’un plat classique un met succulent lorsqu’elle est réalisée par un chef ?

A mon sens, la vraie créativité de ce film réside dans le fait de déléguer le scenario de sa publicité à une IA : l’intérêt porté à ce spot, publicitairement parlant, est probablement plus grand que s’il avait été réalisé de façon classique.

Si nous poussions l’exercice de déléguer à l’IA toutes les communications pour tous les produits, les publicités risqueraient de beaucoup se ressembler (puisqu’elles résulteraient de l’analyse des communications existantes) ! D’où la nécessité de conserver le talent artistique comme moteur, pour innover, pour étonner et pour délivrer l’inattendu, qui sont des vecteurs de performance publicitaires, de mémorabilité et d’attribution.

L’IA est, quoi qu’il arrive une bonne chose, mais se dire qu’elle pourrait remplacer à court terme la création publicitaire paraît aussi absurde que de se dire que l’art moderne ne sera, à l’avenir, qu’issu de l’IA ou même les créations d’un chef étoilé.

Néanmoins, alimenter la création par des données sur les consommateurs donnera toujours une longueur d’avance aux agences et sur ce point-là, l’IA n’a probablement pas fini de nous étonner.

 

Olivier Ferran
DG Quai des Orfèvres